lundi 15 décembre 2014

Ettalyani*... une autre vision du féminisme !

Ettalyani*... une autre vision du féminisme !


( Sarrah BAKRY , La Presse ,08-09-2014)

Chokri Mabkhout semble s’être trompé de titre pour son dernier ouvrage Ettalyani qui se réfère à son co-premier personnage Abdennasser alors que le roman n’est rien d’autre qu’un prétexte pour encenser l’émergence de la femme tunisienne dans le combat acharné de son autre co-premier personnage Zina (Anaruz pour les intimes) pour s’élever de la pauvreté, la minorité ethnique, la condition féminine post-coloniale à l’émancipation. Mais ce n’est malheureusement pas si simple... !
Tout le monde passe à la moulinette... La famille (ou plutôt sa structure), la société (ou plutôt la dualité Beldi-Rustre), le journalisme (ou plutôt les journalistes), le pouvoir (ou plutôt les politiciens, les hauts responsables, les petits fonctionnaires), l’Université (ou plutôt les universitaires)...
Car Chokri Mabkhout a passablement emprunté au lyrisme d’Alexandre Dumas, aux incursions sociales de Marcel Pagnol et à la noirceur de Franz Kafka pour ce roman-radioscopie.
A comprendre cette dernière comme une modalité de la radiologie qui consiste à acquérir en instantané des images dynamiques de l’intérieur des structures.
Pages après pages, les ‘’images dynamiques’’ de la société tunisienne défilent souvent crues, quelquefois romantiques, non sans une certaine justesse de ton, avec une ignorance totale de l’autocensure, chargeant dans des tabous qui restent vivaces malgré les transformations de l’individu tunisien. Viol, homosexualité, adultère, harcèlement sexuel, avortement, alcoolisme... Mais aussi conservatisme familial, volatilité émotionnelle... et surtout règlements de comptes avec le marxisme, l’islamisme, les diverses versions du parti destourien, la déchéance de Bourguiba, la ruse de Ben Ali...

Personnages complexes et ambivalents
Pourtant, tout cela est plein de vie alors que ces concepts sont véhiculés par une foule de personnages assez attachants et que, tel un fil rouge, un sous-roman d’amour tient en haleine au gré de ses heurs et malheurs. Zina et Abdennasser se croisent au milieu des tiraillements universitaires des années ‘80 où tous deux sont reconnus des leaders. Des négociations entre leurs deux factions les rapprochent, et un jour de crise et de confrontation avec les brigades de l’ordre public suffit à les enflammer.
Autour d’eux, à la surface des choses, se trame le tempo du roman, avec de fréquents retours vers le passé... pour expliquer, justifier, recentrer l’histoire. C’est d’ailleurs l’une des faiblesses du roman.
En dessous de la surface, c’est plus sérieux...
Nous y retrouvons Zina et sa ‘’vague inquiétude à l’égard de l’avenir’’, comme disait Ryônosuke Akutagawa, Abdennasser et son inaptitude à trouver l’équilibre de son individualité malgré un talent indéniable à saisir les nuances, Slaheddine symbole du complexe latent à l’égard de ceux qui ont réussi à l’étranger, Sî Abdelhamid qui est parvenu à garder son intégrité intellectuelle malgré le temps et la fonction de pdg du journal du parti, Sî Othman le policier intimement convaincu qu’il n’est là que pour défendre l’Etat...
Des personnages complexes et foncièrement ambivalents comme il se doit...

Zina-Tunisie ?
Seulement, au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans la lecture, on commence à glisser vers ce qui semble être le fond du sujet, malgré le titre. En vérité, il nous devient de plus en plus plausible que Chokri Mabkhout pourrait s’être trompé de titre pour l’ouvrage (une autre faiblesse du roman?), au moment où ‘’Ettalyani’’ se réfère clairement à son co-premier personnage Abdennasser alors que le roman n’est rien d’autre qu’un prétexte pour encenser l’émergence de la femme tunisienne dans le combat acharné de son autre co-premier personnage Zina (Anaruz pour les intimes) pour s’élever de la pauvreté, la minorité ethnique, la condition féminine post-coloniale à l’émancipation. Comble du parallèle Zina-Tunisie... Zina a les yeux verts !
Féministe ? Peut-être, mais, au fil des pages, on se surprend à faire l’amalgame entre Zina et la Tunisie, de Bourguiba à nos jours. Née dans le degré zéro de la pauvreté, précocement éprise de savoir, elle parvient à s’élever au-dessus de sa propre condition presque uniquement (car elle a été également soutenue avec la dernière énergie par Abdennasser) avec ce que Bourguiba appelait ‘’el medda echakhma’’ (la matière grise) en menant un parcours du combattant, une All-Out-War contre tout ce qui pouvait l’entraver, y compris la dévotion de Abdessattar, vers le but qu’elle s’était fixé : l’agrégation en philosophie. Souvent rustre (Mabkhout dit ‘’Goora’’), invariablement entêtée, foncièrement égoïste... elle survit à tout par une énergie extraordinaire. Mais ce n’est malheureusement pas si simple et Zina se révèle aussi destructrice qu’inspiratrice pour son Alter Ego.
*L’Italien
Auteur : Sarrah BAKRY
Ajouté le : 08-09-2014

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